Un roman puissant, une écriture sauvage et sensuelle, qui laisse complètement sonné la dernière page tournée !
C’est une tragédie qui atteint le lecteur en plein cœur, un coup au plexus qui coupe la respiration mais quand bien même, tant que ce livre n’est pas terminé, inutile de penser respirer ! C’est beau et laid en même temps, envoutant et violent … et même les larmes restent coincées au fond de la gorge car au paradis, au pays des êtres égarés, on ne pleure pas, on se bat.
« Vous êtes arrivés au Paradis ». C’est écrit sur la pancarte plantée au bord du chemin qui mène à une petite ferme au fond de laquelle « dans la fosse, si vaste pour un lieu qui n’accueille plus d’animaux, dans la fosse, Blanche se tient droite, malgré les quatre-vingts années qui alourdissent sa poitrine, balafrent son visage et transforment ses doigts en bâtons cassés ». Le Paradis, épicentre de ce roman, c’est avant tout le domaine d’Émilienne, fermière au caractère rude et au physique d’acier, la grand-mère de Blanche. En 352 pages, Cécile Coulon s’empare de la vie quotidienne de cette famille à la campagne qui tire ses ressources viennent du courage et de la terre. Une famille que les drames ont déchirée mais qui continue à s’accrocher au paradis, terre maudite.
Autour d’Emilienne et Blanche il y a Gabriel, le discret petit frère de Blanche, Louis, l’homme à tout faire d’Emilienne recueilli à l’âge de l’apprentissage et Alexandre, le camarade de classe de Blanche. Cécile Coulon taille ses personnages comme on façonne avec de la terre glaise douce et chaude une silhouette effrayante ; à coup de jolies images certes mais en mettant en exergue les comportements bestiaux qui sommeillent en chaque être humain et l’auteure fait peser dès les premières pages une tension palpable.
Je n’ai pas pu m’empêcher de comparer ce livre à « La vraie vie », même écriture abrupte, même huis-clos, peu de repères spatiotemporels : on sait juste que nous sommes à la campagne, loin de la ville dans laquelle chaque jeudi se tient le marché hebdomadaire, lieu de vie et de rencontres, une zone qui demain sera envahie par les lotissements.
Si ce résumé ne vous donne pas plus envie que ça, c’est normal, rien n’exceptionnel dans cet environnement « banal » si ce n’est le style de Cécile Coulon : une écriture fluide qui glisse au fil des mots, un style à fois sensuel et vénéneux, un roman rural et rude mais tellement lumineux aussi. Waouh, c’est somptueux ! Vous pouvez courir chez votre libraire.
Une bête au paradis
Cécile Coulon
Editions l’iconoclaste
352 pages
Les premières pages pour achever de vous convaincre :
De chaque côté de la route étroite qui serpente entre des champs d’un vert épais, un vert d’orage et d’herbe, des fleurs, énormes, aux couleurs pâles, aux tiges vacillantes, des fleurs poussent en toute saison. Elles bordent ce ruban de goudron jusqu’au chemin où un pieu de bois surmonté d’un écriteau indique :
Vous êtes arrivés au Paradis
En contrebas, le chemin, troué de flaques brunes, débouche sur une large cour : un rectangle de terre battue aux angles légèrement arrondis, mangé par l’ivraie. La grange est strictement tenue. Devant, un tracteur et une petite voiture bleue sont rangés là et nettoyés régulièrement. De l’autre côté de la cour, des poules, des oies, un coq et trois canards entrent et sortent d’un cabanon en longueur percé d’ouvertures basses. Du grain blond couvre le sol. Le poulailler donne sur une pente raide bordée par un ru que l’été assèche chaque année. À l’horizon, les Bas-Champs sont balayés par le vent, la surface du Sombre-Étang dans son renfoncement de fougères frissonne de hérons et de grenouilles. Au centre de la cour, un arbre centenaire, aux branches assez hautes pour y pendre un homme ou un pneu, arrose de son ombre le sol, si bien qu’en automne, lorsque Blanche sort de la maison pour faire le tour du domaine, la quantité de feuilles mortes et la profondeur du rouge qui les habille lui donnent l’impression d’avancer sur une terre qui aurait saigné toute la nuit. Elle passe le poulailler, passe la grange, passe le chien, peut-être le douzième, le treizième qu’elle ait connu ici – d’ailleurs il n’a pas de nom, il s’appelle « le Chien », comme les autres avant lui –, elle trottine jusqu’à la fosse à cochons, un cercle de planches avec une porte battante fermée par un loquet que
le froid coince, l’hiver. Là le sol est tanné, il a été piétiné pendant des années puis laissé à l’abandon sans qu’aucun pied, qu’aucune patte ne le foule. Dans la fosse, si vaste pour un lieu qui n’accueille plus d’animaux, dans la fosse, Blanche se tient droite, malgré les quatre-vingts années qui alourdissent sa poitrine, balafrent son visage et transforment ses doigts en bâtons cassés.
La fosse est vide mais en son centre gît un bouquet de ces fleurs qui bordent le ruban de goudron menant au Paradis. Certaines ont déjà fané, d’autres – comme Blanche – sont sur le point de perdre leurs dernières couleurs. C’est un petit bouquet de campagne dans un grand cercle terreux. Les épaules chargées d’un gilet rouge, d’un rouge plus vif que celui des feuilles mortes sous l’arbre à pendaisons, elle bascule, s’agenouille devant ce petit bouquet qu’un enfant aurait pu composer pour sa première communion et en retire les tiges brunes qu’elle jette, d’un geste étonnamment vif, presque violent. Puis elle sort de la poche de ce gilet rouge, d’un rouge plus vif que le sang du Paradis, quelques fleurs encore jeunes, sur
lesquelles elle souffle très doucement avant de les déposer avec les autres. Elle se tient là, prostrée devant ce petit bouquet de campagne, si joli au milieu de cette fosse que sa grand-mère, Émilienne, a fait creuser pour ses cochons. C’était il y a longtemps. Elle se souvient de tout. Car si aucun animal n’habite plus cette arène de planches et de terre, une bête s’y recueille chaque matin. Blanche.
11 Comments
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2 septembre 2019 at 13 h 55 minOh merci ! Une monde que nous ne connaissons pas !
Laurence
4 septembre 2019 at 11 h 42 minVraiment ce livre est une pépite, je vous le recommande chaudement !
laurence Caillau-Larrieu
3 septembre 2019 at 14 h 19 minLaurence, j’ai le même avis que toi, comme pour « La vraie vie », lecture de ce livre en apnée, grincement de dents quant aux descriptions des scènes « champêtres » et finalement tant de beauté dans cette laideur…
Oui, vraiment cette maison d’édition publie des pépites !
Bises et merci pour ce prêt
Laurence
Laurence
4 septembre 2019 at 11 h 43 minTous nos échanges de livres sont une seconde aventure, après la lecture, le débat, j’adore ça !! Bises
sophie bazar
4 septembre 2019 at 9 h 43 minJe n’ai jamais lu Cécile Coulon, mais celui-ci me donne envie de m’y mettre ! Merci pour cet avis et une belle journée à toi 🙂
Laurence
4 septembre 2019 at 11 h 44 minC’était une découverte pour moi et son livre « Trois saisons d’orage » (je crois 😉 ) est aussi décapant alors je vais laisser passer la rentrée littéraire et m’y coller ! Belle journée Sophie.
Koalisa
4 septembre 2019 at 15 h 41 minEffectivement l’écriture est très belle… Merci pour cette découverte, je ne connaissais pas.
Laurence
8 septembre 2019 at 21 h 20 minTu es en train de le lire ?
Koalisa
25 septembre 2019 at 11 h 18 minNon, pas du tout mais je vais peut-être m’y mettre !
yuko
14 septembre 2019 at 20 h 23 minBonjour Laurence, je crois que tout est dit… Je le note (merci) bises
Laurence
23 septembre 2019 at 13 h 10 minC’est vraiment un de mes coups de cœur de cette rentrée littéraire ! Bises